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On m'appelait Surprise XXVIII

Publié le par José Le Moigne





Photo 024



XXVIII 

 

Chacun en pensera ce qu'il voudra. La mort de Lacaille le sauve de tout opprobre, mais nul ne m'empêchera de penser que sa défense, visant surtout à effacer l'effet désastreux de sa dérobade de la veille, manqua de dignité. Personne ne lui demandait d'endosser toutes les responsabilités. Chacun de nous s'était senti blessé, injurié, victime dans sa chair du déni de justice fait à Lubin. Complot ou non, le Sud en masse s'était levé et aujourd’hui, malgré les mois de geôle, malgré la cacarelle qui nouait nos entrailles, honneur ! respect ! comme l’exprime si bien notre parlure créole, nous étions fiers d’avoir été debout. Alors, que le premier d’entre nous adopte un profil aussi bas face à ces militaires qui étaient tout sauf des juges impartiaux, nous semblait une insulte faite aux marrons descendu des mornes de Saint-Pierre pour exiger la liberté. J’exagère ? Crois-tu? Ecoute plutôt ce qui fut dit et que jamais je n’oublierai.

— Eugène Lacaille, énonça le commandant Lambert tout en jouant avec les nombreuses décorations qui ornaient sa tunique, on vous a vu le 22 septembre au bourg de Rivière-Pilote, à la tête d’une bande avec vos fils.  

— Je suis en effet descendu au bourg, mais seulement avec un de mes fils qui était venu cherché des papiers à la mairie pour contacter un engagement militaire. J’étais venu voir Monsieur de Vénancourt et non seulement je n’étais à la tête d’aucune bande, mais je n’en ai organisé aucune. Personne ne s’est réuni chez-moi ni avant ni pendant les événements de septembre. Je suis resté tranquillement chez moi avec ma femme et nos enfants.

— Il y a longtemps que vous prépariez le mouvement qui a été exécuté en septembre. On vous a entendu dire que les blancs avaient assez joui, qu’il fallait partager les propriétés.

— Je n’ai jamais eu de semblables intentions ni tenu de semblables propos.

— Connaissez-vous Louis Telga ?

— Oui. Je l’ai rencontré dans la rue à la tête d’une bande avec Villard. Il était monté sur un cheval noir.

— Connaissez-vous Mondésir Désir ?

— Non ;

— Il déclare que vous lui avez également parlé du partage des terres et que c’est vous qui avez arrêté le postillon porteur de lettres du gouverneur.

— Ce n’est pas moi qui ai arrêté le postillon. C’est Monflot près de l’habitation Caritan et qui est venu m’appeler chez-moi.

— N’avez-vous pas une fille du nom de Morigène ?

— Oui.

— N’est-ce pas elle qui a lu les lettres ?

— Oui.

— Votre fille Morigène n’a-t-elle pas annoncé que la lettre annonçait que l’esclavage allait être rétabli ?

— Je n’ai pas entendu lire cela, à moins qu’elle l’ait lu dans son cœur.

— Vous niez avoir pris part aux évènements et avoir dirigé des bandes ; vous niez avoir été chez Codé et chez Garnier Laroche commander l’incendie ?

— Oui, je le nie.

— Allez à votre place. Nous aurons encore à causer avec vous.

Edifiant. J’ai regardé les camarades. Ces bons visages de nègres et de négresses pour qui ce déferlement de mots que la traduction ne leur restituait qu’à peine car Lacaille maîtrisait assez bien le Français, ne signifiait qu’une seule chose : le chef, le guide, le quimboiseur aux recettes magiques, au lieu de s’élever, de parler à leur place, eux les démunis, se comportait comme le mulâtre qu’il était. Je me suis dite à cet instant que si nous avions gagné, que si notre république avait été proclamée, la république nègre qu’on nous avait promise se serait transformée en pouvoir mulâtre. Encore et toujours la même histoire en Pays Martinique. Ce ne fut là qu’une pensée fugace. Plutôt que de m’attarder sur cette turpide supposée, je préférais me réfugier dans le glorieux souvenir de la semaine sainte qui m’avait transformée, qui avait quoique l'on pense transformer le pays, qui nous avait grandi quand bien même aujourd'hui on nous traitait comme des vaincus.

                                                   José Le Moigne

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J
<br /> Merci Lémy. c'est une bonne surprise dfe te retrouver là. Bonne année à toi et à tes proches en attendant Paris.<br /> Amiotiés<br /> José<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Mon cher Ami,<br /> Voici une nouvelle année pleine d'écritures et de poésies.<br /> Nous sommes posés comme la cendre de sel sur la crête d'une vague qui va, s'en étourdir dans le dédale du monde.<br /> Je te souhaite une Bonne et Heureuse Année 2010.<br /> J'attends de tes nouvelles avant le salon de Paris où les fidèles se retrouvent.<br /> Kimbé rèd pa moli<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Tu as raison. Ce n'est pas à nous de juger, mais c'est Surprise qui parle. Moi je me suis contenté d'analyser les minutes du procès.<br /> Amoitiés<br /> José<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Qui peut savoir, dans une situation extrême, comment il réagira ? Certains se révèlent, Lacaille à craqué ... Toute mon amitié.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> J'ai découvert l'attitude de Lacaille en épluchant les minutes du procès. Officiellement c'est un héro, et sans doute l'était-il, mais pas désintéressé.<br /> Amitiés<br /> José<br /> <br /> <br />
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