Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La montagne rouge 4 / réécriture

Publié le par le breton noir

 

 

 

 

20090604_60.JPG

Bretagne, la lande en été, photographie : Christine Le Moigne-Simonis

4


          Quel temps pouvait-il faire le jour de sa naissance à Plouarzel le 3 septembre 1877. À la fin de l'été, la Bretagne, libérée des chaleurs de juillet et des oragesdu mois d'août, revêt à petits pas sa parure d'automne. Déjà les bruyèrescommencent à rouir, les landes se parent de velours tendre, et le ciel, un des plus admirables que l'on puisse contempler de par le vaste monde, prends ses couleurs d'aventure qui font que les bretons, même s'ils ne doivent jamais quitter leurs chemins creux et leurs labours, sont toujours en avance d'unrêve. Qu'il soit devenu prêtre ne changeait rien au fait. Pas plus qu'un autre l'abbé ne pouvait se soustraire à ces brusques échappées, ces mouvements de l'âme, ce goût pour la mélancolie qui l'imprégnait qui vous habite comme le flux et le reflux habillent et déshabillent les abers. Tout au plus s'efforçait-il de les maîtriser.  Ainsi, au cours de ses périples journaliers qui tenaient plus du chemin de croix que des fastes éclatants des processions de la Fête-Dieu, l'abbé revisitait sa vie

         En ce temps-là, son père tenait une ferme sur  le hameau de Kérempré.  Ce n'était ni la plus modeste ni la plus grande du pays, mais elle donnait bien de l'ouvrage. Qu'importe. C'était un homme vaillant et pieux et la venue d'un fils, bien qu'il ne l'ait pas avoué, avait sans doute été très important pour lui. Un homme de la terre n'est jamais seul dans son court temps de vie. Dès qu'il empoigne les manchons de sa charrue, graisse le cuir des harnais des chevaux, passe la pierre à aiguiser sur le fer de sa faux, la chaleur de tous ceux qui ont tenu ces outils avant lui le traverse si bien que, lorsqu'il mène ses bêtes de sillons en sillons, qu'il leur parle pour les encourager avec des mots d'amour qu'il ne dirait pas à sa femme, il n'ignore pas que les mots qui sortent de sa bouche s'adressent autant à ces vaillants compagnons  qu'au père parti à la fin des dernières moissons, au tad koz qui jadis l'emprisonnait dans l'étau rude de ses genoux pour lui conter mille légendes, et qui repose, depuis dix ans déjà, à l'ombre du calvaire de l'enclos paroissial, et à qui sais-je encore, connu ou inconnu, qui était de son sang. Il sait déjà que son fils, cet enfant que l'on vient d'ondoyer par crainte qu'il n'arrive un malheur avant le jour du baptême, prendra sa place, à l'endroit même où il l'aura laissée, dans la suite naturelle du temps. Il était jeune et robuste. Sa femme était vaillante et gaie. Le petit Yann-Vari, à l'abri dans ses langes, était le gage d'un avenir paisible et laborieux. D'autres enfant, bientôt, viendrait agrandir le clan. Que pouvait-il lui arriver ? Il était à ce moment, unique dans la vie qu'on appelle jeunesse, où l'homme, par naïveté ou par orgueil, se sent invulnérable ; et c'est alors que le malheur frappa.

      Yann-Vari allait atteindre ses huit mois. L'hiver avait été doux et pluvieux. On avait espéré que le soleil de marsassèche la terre grasse et argileuse, mais il n'en avait rien été. Après un bref épisode neigeux la pluie avait repris. Les primevères, les boutons d'or, les jacinthes sauvages qui malgré tout avaient poussées, ressemblaient à des plantes lacustres. Étonnamment, le père qui connaissait pourtant les conséquences d'une mauvaise récolte, gardait sa bonne humeur. On prenait du retard, personne ne pouvait prétendre le contraire, mais les forces que l'on accumulait allaient trouver à s'employer après les saints de glace. Jamais la bonne terre du Léon, que les Cornouaillais, les Trégorois, pour ne parler que des terroirs les plus proches, jalousaient, n'avait trahi les siens. Et puis la mère avait pris froid. Une mauvaise grippe avait noyé ses bronches. On avait fait venir le médecin puis, comme ses médications ne donnaient rien, on avait appelé Callarec, le guérisseur de Lannilis à qui, pourquoi ne l'avouerait-on pas, on faisait d'avantage confiance. Il était arrivé au galop dans la cour de la ferme, sauter en maugréant de son char à banc, franchi en claquant des sabots la porte basse de l'entrée. Personne ni porta d'attention. C'était comme qui dirait sa marque de fabrique. Ce n'est avoir avalé une bolée de lambig qu'il avait consenti à voir la malade. L'enfant dormait dans son berceau rustique ; le père arpentait sans relâche la terre battue de la salle commune qui semblait exsuder tellement l'humidité était prégnante ; Callarec s'agitait autour du lit clos où la mère, devenue elle aussi une créature de la pluie, chassait, dans une transpiration mortelle, toute l'eau de son corps.

      Cela arrivait plus souvent qu'on le croit, mais Callarec détestait cet instant où l'impuissance le gagnait. Un guérisseur contraint d'avouer son échec, c'est un soldat sans armes.

      Mon gars, avait-t-il dit en s'efforçant de corriger ses manières grossières, ta femme est forte et on en a vu se rétablir quand tout semblait perdu, mais tout de même, de perd pas de temps. Va chercher le curé. Deux précautions valent mieux qu'une

      Là-dessus, sans réclamer son dû, il avait détaché son cheval, était monté dans sa carriole, et avait mis la bête au trot.

       Yann-Vari se coulait dans la peau du curé apportant les derniers sacrements à sa mère. C'était un curieux sentiment. Celui de renouer sans l'avoir désiré le fil d'une histoire trop brusquement interrompue.

          Il n'avait pas eu de mère pour bercer son enfance mais ce n'est qu'aujourd'hui, parvenu au versant de l'âge d'homme, qu'il en ressentait cruellement le manque. En Bretagne, du temps de sa prime jeunesse, y compris dans le riche Léon, la mort était alors banale et quotidienne. Bien rares étaient les fermes où la karrigel de l’ankou[1] ne s’était pas arrêter une seule fois dans l’année. Le monde des vivants cohabitait avec celui des morts et Yan-Vari Perrot, comme tout breton digne de ce nom, était un familier de la légende de la mort. Cela ne ressemblait en rien à danse macabre qui, en dépit du malaise qu'elle peut vous inspirer,   ménage la distance entre le regardant et l'objet regardé. Ici, c'est de l'intime dont on parlait, d'une totale imprégnation venue du plus profond de l'âme, du temps où, sur les cromlechs et les cairns la religion n'avait pas encore posé sa croix. Maintenant, quand il songeait au départ de sa mère, L’abbé se sentait  habité. Il revoyait le voile posé  sur le seul  miroir de la ferme afin de le masquer ; la chambre blanche, tendue de draps immaculés, où reposait la jeune morte ; et même l'écuelle pleine lait qu'une parente avait déposée sur la table pour rendre hommage à l’anaon[2] tout en s'en protégeant ;  le cortège funèbre mené par  le recteur et les enfants de chœur ; le cheval,  un  vigoureux postier breton, prêt à ruer dans les brancards à chaque fois qu'il s'embourbait dans les chemins étroits, coincés entre de hauts talus couronnés de chênes rabougris, qui menaient  de la ferme à l'église du bourg. L'hiver, à l'instant grave où le soleil s'effaçait derrière les nuages têtus, il entendait parfois, mêlés aux vents tournants qui déchiraient la lande, le chœur des fidèles qui chantait:

                                     Evit adori Doue

                        M'hoc'h ma doue, ma c'hrouer

                        Hirio ha keit ha ma vevinn

                        Ho servicha humbl a fell d'inn

                        Evit trugarekaat Doue

           

         L'illusion s'installait. Il en était persuadé, comme la voix du Seigneur vibrait au fond des cœurs longtemps l'ultime sacrifice, ce cantique breton, qu'il avait si souvent fait répéter aux petits et aux grands, résonnait en écho aux raclements de pelle du fossoyeur creusant la tombe de sa mère dans l'enclos paroissial. Alors, tandis que  le froid lui broyait les orteils et raidissait son pas, comme en ce jour depuis tellement de temps enfouie où l'avait porté jusqu'au visage  glacé de sa pauvre maman, il recherchait l'humble chaleur des bras de sa marraine.

Pas un instant Yan-Vari il n'avait supposé que son père ait pu l’abandonné. Les
temps étaient trop durs pour qu'un homme seul, soumis au travail des champs,ait le loisir de s'occuper d'un enfant en bas âge. Aussi, c'était le cœur serré qu’il avait dû se résoudre à le confier aux cousins Croguennec, qui habitaient une ferme voisine, et quand ils avaient quitté Lanrivoaré pour à Locmaria-Plouzané, tout naturellement, il les avait suivi. Grandir n'avait pas été trop difficile. Il n'était pas le plus fort, mais pas le plus gringalet non plus. Conduire les vaches au pré ; former les gerbes immenses avec les femmes et les autres gamins les jours de moisson ; pousser vers les étables les brouettes de foin ; mais, aussi, s'asseoir à même la terre battue, le dos collé à la cheminée où la soupe ou le ragout mijotait dans un faitout au cul noirci poser à même la braise sur un trépied, pour écouter la parole des anciens ; vagabonder par les chemins et quelque fois entrevoir la mer ; écouter le coucou qui le premier annonce le printemps ; trembler au cri de la hulotte nichée quelque part du côté de la grange ; guetter le hurlement du loup encore présent dans les campagnes, avaient été son quotidien, celui d'un petit paysan en tout semblable aux autres.

            Seule l'école le rendait différent. Son futur n'était pas à la ferme. La prêtrise, déjà, bien que personne n'en dise rien, se dessinait à l'horizon. L'instituteur laïque, un Alsacien marié à une Bretonne, espérait bien le détourner de ce projet, mais il n'était pas sectaire comme la plupart de ses collègues lesquels formaient la première vague des hussards de la République. L'enfant aimait apprendre. L'école avait besoin de maîtres de valeur, l'instituteur aurait aimé l'attirer vers cette voie, mais devait devenir prêtre, qu'au moins il ait acquis la tolérance et l'esprit d'ouverture. S'il avait su, lui qui ne ménageait pas ses efforts pour conduire les enfants sur le chemin de l'épanouissement, à quel point il se trompait avec celui-là ! Gageons qu'il n'aurait rien changé. A cette époque où l'école publique, laïque et obligatoire balbutiait encore, monsieur Müller n'était pas de ceux qui renâclent devant le moindre obstacle. De son côté, même si rien ne l'affirmait encore, Yann-Vari, enfant à l'esprit bouillonnant, s'ouvrait au sectarisme prosélyte, et nourrissait une farouche indépendance. Le maître n'avait vu que les apparences, mais, quel pédagogue, en face d'un tel élève, n'aurait-il pas, en toute bonne foi, joué à plein le jeu.

1889. Yann-Vari a douze ans. Il ne le sait pas encore mais son enfance vient de s’achever. Finie l’école villageoise, finie la bonhomie du maitre, terminée l’insouciance première. Adieu le Finistère et bonjour Guingamp, ses fortifications à demi-écroulées, ses façades austères et ses maisons de bois, sa basilique et son collège religieux.

Pourtant, tout avait commencé sous les meilleurs auspices. Il n’avait pas de raison de s’inquiéter puisque son oncle, Frère Agathange, lui-même enseignant au collège, depuis sa tendre enfance l’avait pris sous son aile, si bien, qu’au fil du temps, Yan-Vari n'avait plus douté de sa vocation. Le voyage en calèche de Plouzané jusqu’à Guingamp avait été une véritable fête.  L’oncle Agathange, loin des clichés qui faisaient des bretons, et en premier des léonards, des êtres taciturnes et d’humeur maussade, était un joyeux drille. Jamais avare d’histoires drôles, de propos satiriques, de moqueries sans conséquences que jamais, au grand jamais, il n’aurait débité en français ou encore en latin, mais dans sa bonne langue maternelle, un breton rocailleux et sonore dont le phrasé, à lui seul, mettait le cœur en joie. Or, devant la porte du collège, Frère Agathange, perdant soudain toute faconde, se met à murmurer, à la manière d’un voleur passant soudain de l’ombre à la lumière, mais sans se départir de sa parlure bretonne,  qu’il avait quelque chose d’important à lui dire.

—   Écoutes mon garçon, plus question de Breton dès cette porte franchie. Même à moi du devras t’adresser en Français.

Un peu surpris par l’air choqué de son neveu, Frère Agathange avait flatté le col de son petit cheval et ils étaient entrés. Après tout, il n’avait jamais fait qu’énoncer une règle à laquelle lui-même se pliait. Comment aurait-il pu comprendre que ces trois mots, pour lui sans importance, avaient blessé l’enfant dans ce qu’il avait de plus précieux, même s’il allait pour lui de soi jusqu’à ce jour, son sentiment breton. Sans doute Yann-Vari l’ignorait-il encore, mais son chemin de vie venait d’être tracé.  Jamais, à l’école du village, la question de la langue ne s’était posée d’une façon aussi brutale. Les cours de Monsieur Müller se donnaient en français, mais aussitôt finis, la langue maternelle reprenait tous ses droits. Il semblait même que Monsieur Müller, peut-être parce qu’il était Alsacien, encourageait cette pratique. Plus question de bilinguisme au collège de Guingamp. Malheur à qui il arrivait de l’oublier. Le préfet de discipline ne plaisantait pas avec les châtiments. Cela pouvait aller jusqu’aux coups de bâton. Faute de pouvoir s’y opposer, Yan-Vari s’était soumis à la règle commune ; mais il avait vécu cela comme une mutilation. À cette époque, qui s’en serait donné la peine, aurait pu voir chez cet enfant obéissant mais réservé, l’émergence de l’adulte rebelle qui, dans le silence de l’étude, du réfectoire ou du dortoir, comme un titre tapis à la lisière de la jungle,   préparait sa revanche.

Au fond, les cinquante ans passés depuis, n’avaient été que la confirmation, la mise en action de cette colère juvénile. A quatorze ans, quand il avait pris la route pour le petit séminaire de Pont-Croix, la rage de ses douze ans bouillait encore en lui. Elle ne l’avait pas quitté pendant son service militaire au 19ème régiment d’infanterie de Brest et elle était plus que jamais présente à sonentrée au grand séminaire de Quimper.

Personne ne l’ignore, il faute une lente maturation pour que s’affirme les projets. À mesure qu’approchait de la date de son ordination, tout devenait clair pour Yann-Vari Perrot. Finie la révolte brouillonne propre à l’adolescence.  Maintenant, il en était persuadé, sa mission pastorale ne prenait sens que si elle s’associait à son combat pour la défense de la langue bretonne. Feiz ha Breiz !  Voilà qui était doux à prononcer ! Mais dans sa bouche ce n’était pas qu’un vulgaire slogan. C’était une poétique qui dépassait de loin le simple fait religieux. Une mise en relation en quelque sorte. En Bretagne comme ailleurs, les peuples condamnés à se taire savent très bien passer par le détournement pour exprimer leurs différences et, sur ce point, le futur prêtre ne manquait pas d’adresse. Dès son entrée au séminaire, histoire de se faire la main, le voilà qui organise la Kenvreuriez ar Bezhoneg, une sorte d’académie bretonne destinée à ses condisciples maîtrisant moins le breton que lui. Bien entendu, ses supérieurs n’avaient vu là qu’un simple dérivatif à la monotonie de leur enseignement. Alors, pourquoi se serait-il arrêter sur un chemin si agréable ?  Pour la cérémonie de son ordination, au lieu de sacrifier à l'exercice du latin, il avait composé un cantique en breton et l’évêque, bercé par la musique de sa langue natale, loin d’y voir malice, l’avait félicité, à la manière dont le font les prélats, avec rondeur et componction. L’animal, sans doute, était un peu rustique, mais il semblait sincère ; et puis, en ces temps meurtriers où l’État s'écartait de l'Église et méditait de rafler tous ses biens, un jeune prêtre qui bretonne à tout crin et par ce fait proche du peuple, ce n'était pas certes pas atout à négliger.

      Mais Yan-Vari Perrot ne pouvait être réduit à cette image d’évangile et Monseigneur Duparc, successeur de Monseigneur Dubillard qui l’avait ordonné allait très vite s’en apercevoir.  Le papillon avait quitté sa chrysalide et maintenant, année après année, chaque fois un peu plus l’enfant frissonnant de colère devant la porte du collège se transformait en prêtre de combat. L’abbé connaissait son histoire et, s’il lui avait fallu, pour le triomphe de ses idées, prendre l’habit de Cadoudal ou du marquis de Pontkalleg, il l’aurait fait sans hésiter. En cette année 1903, alors qu’il rejoignait son premier vicariat, Yan-Vari Perrot n’ignorait rien du contenu sa besace. Aussi modeste que soit son rang dans le clergé, bientôt, on entendrait parler de lui.

José Le Moigne 2010








 

[1]    Ar karrigel an Ankou : La charrette des morts.

 
 
 

[2]    L' anaon : l'essaim des âmes.







Commenter cet article
V
<br /> <br /> Ce texte est magnifique, il ancre une humanité dans des lieux précis, aux gestes et objts qui sonnent. Et puis il y a cette mort dont j'ai , près de Lanillis justement senti la si forte présence.<br /> Et la révolte qui forge un homme et le nourrit ou... l'éteint.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
F
<br /> <br /> Tu prends un plaisir palpable de t'installer dans des époques et "peaux" différentes, une des tiennes, sans doute...<br /> <br /> <br /> C'est beau d'avoir autant de couleurs sur sa palette identitaire!<br /> <br /> <br /> Bonne journée, cher Ami. R.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
K
<br /> <br /> J'ai du revenir plusieurs fois , j'avais raté les épisodes passées :)<br /> <br /> <br /> Bon c'est pas mal tout ça ! merci pour cetté évasion !<br /> <br /> <br /> Bô weekend à vous !<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre