Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Chemin de la mangrove / L'abbé Ménez

Publié le par josé Le Moigne


       
link: http://www.librairieharmattan.com/

    Lorsque Pâque s'annonce, quel que soit l'endroit du monde où je me trouve, je sens, partout autour de moi, la présence chaude et rassurante de notre bon recteur: l'abbé Ménez. Ce prêtre là, contrairement à l'affreux Léostic, n'avait pas la piété janséniste et son amour de dieu restait à hauteur d'homme. Il n'est pas besoin d'en dire beaucoup plus pour exprimer tout le respect et l'amitié que son attitude, toute de bienveillance, lui valait parmi nous. Certains jours, l'abbé Ménez, se disait que le seigneur, dans son infinie miséricorde, l'avait posé au bon endroit et que, véritablement dans cette paroisse, il touchait presque à la plénitude sacerdotale.

     Tout aurait été pour le mieux si un chagrin, que personne n'ignorait, ne taraudait notre recteur.
     Il avait beau se dire que la sereine nudité de son église le ramenait aux premiers âges de la foi, il ne se consolait pas de la voir muette. c'était plus fort que lui; Il s'accusait souvent de vanité, mais il avait gardé de ses paroisses d'avant guerre l'amour  des fêtes  carillonnées.  Par chance, comme seuls biens terrestres, outre quelques livres qui le suivait partout, il possédait, rangés dans la cantine militaire qui lui servait tout à la fois de coffre et de prie-dieu, deux disques que d'anciens paroissiens, connaissant son amour pour les clochers sonnants, avaient cru bon de lui offrir. Monsieur Menez, bricoleur ingénieux comme on l'était en ce temps-là, avait relié l'impressionnant pick-up du patronage à une espèce de porte-voix fixé sur le toit de l'église.
        Ainsi, à l'heure des offices, lançant selon les circontances Bourdons et carillons ou le rituel des clochers bretons, se donnait l'illusion de volées magistrales.
        A quatorze heures très précises, le jour de vendredi saint, Monsieur Menez faisait retentir le glas. Au début, le disque craquait toujours un peu; mais quand enfin il démarrait, l'église tremblait depuis ses fondations jusqu'à son faux clocher.
         La paroisse tout entière se mettait gravement en chemin. le visage caché sous des mantilles noires, les femmes menaient la procession. Souvent il arrivait, que l'une d'elle oubliant le solennel de l'instant, se mette à parler haut. le raclement sonore de l'accent léonard déchirait le silence et la femme, baisant la tête, faisait semblant de gourmander son enfant le plus proche. alors, comme pour se faire pardonner, elle esquissait un sourire contrit avant de replonger dans le recueillement.
        Arrivée au parvis de l'église, la troupe, obéissant à la loi ancestrale, se séparait avant d'entrer dans le lieu saint. Les hommes, patauds et lourds dans leur costume du dimanche, occupaient bruyamment la gauche de l'autel. les femmes, toujours plus recueillies, s'installaient sur les travées de droite, à moins que ce ne fut l'inverse.
        L'abbé Ménez accueillait son troupeau d'un large geste oecuménique. Sa voix, d'abord mal assurée, prenait très vite de l'ampleur et finissait, comme le glas quelques minutes auparavant, par remplir tout l'espace glacial. dès la 7ème station, des femmes reniflaient. Bien avant la douzième, les plus pieuses pleuraient.
        Toutes les souffrances du Christ pesait sur nos épaules et, au moment de sortir de l'église, nous avions l'impression de vivre à notre tour les souffrances du Christ.
        Le dimanche de Pâques nous  libérait de cette  ambiance  de  tombeau. sans doute en a-t-il eu de pluvieux, de venteux et de froids, mais dans  mon  souvenir  ils furent tous très beaux. bien-sûr je me souviens des oeufs en chocolat que lannig, aidé de man Anna avaient dissimulés autour de la maison, mais ce que j'aimais le plus, c'était l'incroyable élan communautaires qui emplissait l'église et la faisait tanguer sous le roulis des chants celtiques.

Perzhier an iffern' vo serret
Dol ar baradez digoret
Gent gras doué m'vokollet


       Quelle joie, même si nous y comprenions à peu près rien, d'unir nos voix timides et à la polyphonies des cantiques bretons.
       A chaque grande messe l'abbé Guéguen menait le chant des paroissiens. Lui non plus ne m'a jamais vraiment quitté; Je revois, avec un puissant sentiment de plénitude et de bonheur, son beau visage d'ange de fresque, ses cheveux blonds, ses yeux si clairs qu'ils paraissaient liquides. Le bruit avait couru que le joli abbé devait sa présence chez nous à une histoire de femme. Les mauvaises langues en étaient pour leurs frais. l'abbé, au point d'être à son tour comme statufié par le quartier, n'en avait retiré que de la sympathie. Et puis, que voulez-vous, sa voix était si pure qu'elle faisait fondre sur lui toutes les indulgences. elle s'envolait, plus cristalline que l'eau des fontaines sacrées, plus légère qu'une écharpe de brume dénouée par la mer et nous laissait dans la lumière, tout tremblants de bonheur et d'espoir.
       Elle n'était pas de celles que l'on puisse être oublier.







José Le Moigne
Chemin de la mangrove
Editions l'Harmattan
ISBN: 2-7384-7216-8
13 euros






Commenter cet article